
Avec l’officialisation de sa liste de sélection pour l’année 2025, le Prix de la littérature arabe confirme ici son lieu d’exception à l’orée du monde littéraire francophone : tribune des auteur·rice·s arabes, focus sur la traduction, mais également miroir des luttes identitaires, des ruptures esthétiques des désirs de renouveau. Avant la remise des prix prévue le 18 novembre à l’Institut du monde arabe, l’édition 2023 multiplie les défis en reconduisant la diversité géographique, et la pluralité des voix, mais en exigeant aussi que les ouvrages soient publiés entre le 1er septembre 2024 et le 30 septembre 2025, et en tenant compte d’un rôle plus affirmé du traducteur.
Origines, principes et dispositif du prix
Historique du prix de la littérature arabe
Le prix de la littérature arabe, fondé en 2013 par la Fondation Jean-Luc Lagardère et l’Institut du monde arabe (IMA), a pour vocation de promouvoir les œuvres littéraires écrites en arabe (ou traduites de l’arabe) ou directement en français, par des auteur·rice·s originaires de l’un des pays de la Ligue arabe.
Le prix s’inscrit dans une dynamique de dialogue culturel entre le monde arabe et la France, de visibilité des littératures arabes auprès du public francophone, et de soutien à la traduction — un enjeu fondamental pour que les œuvres arabes puissent circuler au-delà de leur langue d’origine.
Conditions d’éligibilité et modalités
Pour l’édition 2025 :
Période de publication : œuvres publiées entre le 1er septembre 2024 et le 30 septembre 2025.
Type d’ouvrage : roman ou recueil de nouvelles, écrit en arabe et traduit en français, ou écrit en français.
Montant : prix principal de 8 000 euros. Mention spéciale de 2 000 euros pour le·la traducteur·trice d’un ouvrage arabophone dans la sélection finale.
Tous les titres proposés doivent être envoyés (PDF et version imprimée), selon les modalités indiquées par la Fondation.
Jury, calendrier et cérémonie
Le jury de l’édition 2025 sera présidé par Alexandre Najjar — écrivain et avocat, qui se distingue par son engagement dans les lettres et la francophonie.
Annonce de la sélection officielle : juillet 2025, avec huit titres retenus livreshebdo.
Cérémonie de remise : prévue le 18 novembre 2025 à l’Institut du monde arabe (IMA), avec des représentants des mondes littéraire, éditorial et culturel, avec Jack Lang, président de l’IMA.
Les portraits, styles et thématiques des huit livres finalistes
La sélection pour 2025 est emblématique de la pluralité des littératures arabes contemporaines, tant dans les champs thématiques, que dans les auteur·rice·s, les contextes nationaux ou diasporiques, les usages de la langue.
Voici la liste des œuvres finalistes de cette 13ᵉ édition :
Titre
Auteur / Origine
Particularité / traductions / éditeur
Je suis ma liberté — Nasser Abu Srour (Palestine)
Œuvre traduite de l’arabe par Stéphanie Dujols, publiée chez Gallimard.
Un goût de thé amer — Mohammed Alnaas (Libye)
Traduit par Sarah Rolfo, éd. Le bruit du monde. Thèmes de mémoire, usages du quotidien, résonances politiques.
La Naturalisation — Zied Bakir (Tunisie)
Œuvre originale en français chez Grasset, interrogeant identité, appartenance, et transformations sociales.
Je me regarderai dans les yeux — Rim Battal (Maroc)
Éditée chez Bayard, écriture sensible, introspection, double regard entre le soi et l’autre.
La Danse du paon — Hanan al-Shaykh (Liban)
Traduit par Khaled Osman, éd. Sindbad / Actes Sud. Auteure de renom, style littéraire raffiné, mélange de mythes, de mémoire libanaise, de féminité
La fin du Sahara — Saïd Khatibi (Algérie)
Traduite par Lotfi Nia, éd. Gallimard. Tension entre désert matériel et désert symbolique, marginalité, langue de l’intime.
Brève histoire de la Création et de l’Est du Caire — Shady Lewis (Égypte)
Traduit par Sophie Pommier & May Rostom, éd. Sindbad / Actes Sud. Œuvre dense, mêlant récits mythologiques, réalités urbaines du Caire, question du sacré et du profane.
Pays amer — Georgia Makhlouf (Liban)
Éditée aux Presses de la Cité. Thématique du déracinement, de la mélancolie, des retours impossibles, du regard nostalgique et critique sur le passé.
Les thèmes principaux et héritages esthétiques
On repère déjà quelques fils rouges dans cette sélection :
Liberté et appartenance : on pense à Je suis ma liberté de Nasser Abu Srour qui questionne ce qui peut vouloir dire « affirmer sa voix » dans des contextes d’oppression et de conflit.
Mémoire, nostalgie, déracinement : Pays amer, La fin du Sahara mais aussi Brève histoire de la Création… convoquent le passé, le mythe, le souvenir (familial, géographique) pour penser le présent.
Identité(s) hybride ou mouvantes : La Naturalisation, Je me regarderai dans les yeux — écrits en français ou traduits — témoignent de parcours personnels ou collectifs qui se fabriquent entre langues, cultures, frontières.
La traduction comme passage, comme médiation : tains de ces auteurs cités, la traduction est souvent évoquée dans les entretiens ou présentations et apparaît comme non seulement vecteur de diffusion, mais aussi partie essentielle de la création littéraire contemporaine ; le traducteur n’est pas passerelle, mais partenaire esthétique.
Auteurs et auteures à découvrir
Rim Battal : figure montante du Maroc, sa voix exprimée dans Je me regarderai dans les yeux allie sensibilité introspective et critique sociale subtile.
Saïd Khatibi : après plusieurs essais et travaux critiques, La fin du Sahara confirme son intérêt pour les territoires liminaires : l’arrière-pays, la frontière, la désertification qu’elle soit ou non matérielle, qu’elle soit symbolique ou matérielle.
Mohammed Alnaas : déjà repéré dans des sélections pour ses œuvres antérieures, poursuit une écriture qui allie le quotidien, la tendresse et l’ironie, le tout porté par une langue simple mais percutante.
Enjeux culturels et politiques sous-jacents
Littérature arabe, traduction, circulation
Le fait que cinq des huit ouvrages soit des traductions de l’arabe souligne l’importance de la circulation linguistique. En effet, sans traduction, ces œuvres resteraient dans l’ombre, moins visibles en France ou dans les circuits de langue française. Mais traduire, c’est aussi faire des choix — choix de style, d’interprétation, de tonalité, qui conditionnent la réception. La mention spéciale accordée au traducteur est une reconnaissance bienvenue d’un travail souvent invisible. Elle interroge aussi la relation auteur-traducteur, la fidélité, les inflexions que le français impose ou permet.Représentation géographique et diversité des voix
Les huit finalistes viennent de Libye, Tunisie, Maroc, Algérie, Egypte, Palestine, Liban — en soi une couverture honorable, oui mais parfois, certains pays littéraires moins visibles ou moins traduits (Syrie, Irak, pays du Golfe au-delà de la diaspora, etc.) n’y figurent pas, du moins cette année.
C’est récurrent, cela met à jour les inégalités structurelles : diffusion des œuvres, possibilités d’éditions, soutien institutionnel, traduction, fragilité des marchés littéraires domestiques. Ce prix en mettant ces voix en lumière contribue à déséquilibrer, à corriger, à atténuer ces déséquilibres.
Thématiques contemporaines : ce que l’arabe raconte aujourd’hui
La sélection 2025 tend à thématiser des sujets d’actualité :
Identité, citoyenneté, naturalisation : à l’instar de La Naturalisation qui interroge le droit, le sentiment d’appartenance. Désert, migrations, villes frontières, pauvreté, exil.
La condition féminine : Je me regarderai dans les yeux, Pays amer, La Danse du paon : plusieurs œuvres mettent en avant au centre des trajectoires de femmes, la question du regard, de la mémoire et du silence.
Urbanité/ crise de la ville : dans Brève histoire de la Création et de l’Est du Caire, la ville apparaît ici aussi comme un lieu de chaos, d’entre-deux, de juxtaposition des modernités et des archaïsmes, des aspirations spirituelles et de la matérialité difficile.
Des motifs somme toute traditionnels, donc, mais qui de manière encore une fois polymorphe s’affirment nouvelles par la façon d’en traiter les modalités tant en termes de langues, de formes, de modalités narratives.
Rôle et position du Prix dans le champ littéraire
Visibilité et reconnaissance
Être en sélection officielle pour le Prix de littérature arabe permet à l’auteur·trice :
D’être davantage visible dans les catalogues français, les médias culturels, les librairies.
D’être traduit dans d’autres langues que le français.
D’être reconnu·e par un jury prestigieux, ce qui peut déboucher sur des résidences, des invitations à des festivals, des bourses.
Aide à la traduction
La traduction littéraire de l’arabe vers le français est encore un secteur difficile : la marge pour les éditeurs est faible, les traducteurs ont du mal à être bien rémunérés, à se former dans certains pays. En faisant de la traduction (mention spéciale, place prépondérante dans le règlement) un point fort de ce prix, le Prix aide à soutenir ce métier.
Dialogue culturel, échanges et éducation
Le dispositif du Prix littéraire arabe des lycéens, son articulation avec le volet ateliers, rencontres, démarche pédagogique, en fait un pilier important, permettant de sensibiliser l’une des jeunesses françaises à une diversité arabe constitutive de littératures, langues, identités.
Ces actions participent à la construction de l’altérité, à la déconstruction de stéréotypes et à l’enrichissement d’un regard critique.
Enjeux de critique et de limites possibles
Enjeux de la traduction et de la fidélité
Quand on traduit on perd ou transforme des nuances de style, figure de style, métaphore, référence culturelle autre, jeux de langue etc. Un certain nombre de lecteurs du français peuvent ne pas saisir toute la profondeur de sens, d’où la nécessité du traducteur. Et d’un éditeur qui publie avec apparat notes ou préfaces.
Risque d’homogénéisation
Les contraintes du Prix, critères (roman ou recueil de nouvelles, œuvres traduites, etc.), les attentes du public francophone, ici ou ailleurs, l’invitent à s’orienter vers certains styles ou thèmes « administrativement acceptables » — à défaut de travaux plus marginaux.
Ce prix législatif valorise plutôt ici des textes assez accessibles, engageants et plutôt portés à l’adresse d’un public large, de grands styles ou thématiques du roman francophone souvent en retrait, en dehors donc de ce qui fait l’éclat du récit conforme aux normes du genre.
Représentation politique et censure indirecte
Si prix ne fait pas censure, les auteurs viennent de pays où la liberté d’expression est parfois restreinte. Les thèmes choisis, le silence ou l’autocensure peuvent bien avoir à voir avec d’autres réalités où les tendances sociales ou politiques peuvent s’exprimer, mais pas dans le texte engendré. D’autre part, pour la réception en France ou dans l’espace francophone, la lecture politique externe imposée peut travestir l’écrit.
Perspectives 2025-2026 : un avenir qui pourrait / déjà signaux
- Prédiction de lauréat·e(s) et débat anticipé
- Cette sélection présente de nombreuses œuvres qui pourraient avoir bien des chances de triompher :
- Je suis ma liberté, soit par son intention poétique et politique.
- La Naturalisation pour la manière dont elle aborde le sujet de l’appartenance (…).
- La fin du Sahara, pour son aspect mobilisateur fort et le désert proposé comme espace métaphorique.
- Le débat, peut-être, entre écritures, œuvres traduites et écrites en français, devra jouer un rôle ? Le choix du jury pourrait être incité par l’actualité politique, la mise en visibilité des sujets de migration, de nation, de conflit…
Impacts attendus après remise du prix :
Hausse des ventes des ouvrages finalistes (et tout particulièrement du ou de la lauréat·e).
Invitation à des festivals, tables rondes, résidences.
Peut-être une montée de traductions vers d’autres langues européennes (anglais, espagnol) pour l’œuvre primée.
Recommandations pour étoffer l’innovation
Encourager dans les prochaines éditions les œuvres plus expérimentales, poétiques, hybrides.
Ouvrir géographiquement la sélection, avec plus d’auteurs de pays moins représentés (Golfe, zone saharienne, diaspora).
Soutenir davantage les traducteurs, appuyer la formation, intervention interlangues (arabe → français mais également → autres langues).
Renforcer les volets pédagogiques, de médiation, pour que le public appréhende les enjeux de traduction, les choix esthétiques, les contextes culturels.
Conclusion : un carrefour littéraire bouillonnant
La sélection officielle du Prix de la littérature arabe 2025 ne se contente pas de dresser une liste : elle met en avant une scène littéraire arabe plurielle, engagée, souvent habitée de mémoire, de quête identitaire, de ruptures, mais aussi d’espoirs, de styles hétérogènes et de langues mêlées ; un prix qui reconnaît la traduction, œuvre et auteur·rice·s en diversités, dialogue interculturel, c’est un prix devenu essentiel du paysage littéraire contemporains.
Le 18 novembre 2025, date de la cérémonie à l’Institut du monde arabe, ne sera pas seulement un moment de récompense, ce sera l’occasion de mesurer où la littérature arabe en est dans sa capacité à toucher un lectorat large, à se faire entendre au-delà des frontières, à être conforme, non pas uniquement à la tradition, au « classique », mais aussi à la modernité trouvée dans l’écriture ; à ces lecteur·rice·s, il peut être proposé d’ouvrir un livre d’un de ces huit titres, portemanteaux d’univers intimes, mais également universels, parfois dérangeants, toujours vivants.





