Découvrez les “soirées Dior”, ces fêtes entre femmes qui agitent Bamako et que l’État vient d’interdire

la Rédaction

Depuis quelques semaines, un mot tourne en boucle sur TikTok et Facebook au Mali, “soirées Dior”. Ou, pour celles et ceux qui connaissent un peu le terrain, “boubou party”. Le principe paraît simple, presque anodin. De jeunes femmes se retrouvent dans un salon, une cour ou une salle louée pour l’occasion, elles enfilent toutes le même uniforme chic et coloré, le boubou indigo, et elles dansent, chantent, se filment. Rien de bien méchant, à première vue. Sauf que les vidéos ont pris une ampleur folle, et qu’au passage, elles ont déclenché un débat sur la morale, la culture et la place des femmes dans l’espace public.

Un phénomène né sur les réseaux

Les premières vidéos ont circulé cet été, on y voyait des groupes de jeunes femmes sourire, s’amuser, exagérer les gestes, parfois danser de manière suggestive. TikTok a servi d’amplificateur. En quelques jours, les “soirées Dior” sont devenues un phénomène viral, avec une esthétique reconnaissable entre mille, ce bleu indigo qui inonde l’écran. 

Pour les participantes, c’est surtout un moment entre copines, un espace de liberté. Certaines parlent même de “reprendre possession de leur image”, de casser la routine dans un pays où les lieux de divertissement sont rares pour les femmes.

Là où ça coince pour l’État

Évidemment, tout le monde n’a pas trouvé ça anodin. Dès la fin août, des voix religieuses et conservatrices se sont élevées. Le Chérif Ousmane Madani Haïdara, figure influente à Bamako, a dénoncé publiquement ces soirées, les qualifiant de déviantes et contraires aux bonnes mœurs. Sur les réseaux, des internautes se sont indignés, pointant du doigt la “provocation”, la “perte de repères”. D’autres, plus virulents encore, y voient une atteinte directe à l’islam et aux valeurs traditionnelles. Bref, l’affaire a vite pris une tournure morale et politique.

Certaines vidéos montrent des danses très suggestives, filmées de près, destinées clairement à buzzer. Loin des simples fêtes familiales où le boubou est habituellement porté, on bascule dans un registre plus show-off. Pour certains, c’est un vent de fraîcheur, mais pour d’autres, c’est l’ultime symbole d’une jeunesse qui s’égare.

La décision du gouverneur est radicale

Le 8 septembre, coup de massue. Le Gouverneur du district de Bamako, Abdoul Aziz Coulibaly, annonce l’interdiction pure et simple des “soirées Dior” et de tout événement du même type. Le texte officiel parle de pratiques “contraires aux bonnes mœurs et à l’ordre public”. Les maires, commissaires de police et gendarmes sont priés d’appliquer la mesure sans délai. Les contrevenants s’exposent à des sanctions, même si pour l’instant, on ne sait pas vraiment lesquelles.

Là encore, la réaction a été immédiate. Certains applaudissent la fermeté, voyant dans cette interdiction un moyen de préserver l’image du pays et de “protéger” la jeunesse. D’autres dénoncent une décision autoritaire, un retour en arrière. Car après tout, on parle de femmes adultes qui choisissent de s’habiller et de faire la fête comme elles l’entendent. Et si les vidéos choquent, est-ce vraiment un motif suffisant pour criminaliser tout un phénomène social ?

Un débat plus large qu’une simple fête

Derrière l’histoire des boubous indigo, c’est en réalité une question de société qui s’ouvre. Jusqu’où peut-on encadrer les comportements jugés immoraux ? Où commence la liberté individuelle et où s’arrête l’autorité de l’État ou du religieux ? Ce n’est pas la première fois que le Mali fait face à ce type de dilemme, et ça ne sera sûrement pas la dernière.

En attendant, les soirées Dior sont officiellement bannies. Mais beaucoup se demandent déjà si elles vont disparaître ou simplement se déplacer dans des salons privés, à l’abri des caméras. Ce qui, au fond, pourrait les rendre encore plus sulfureuses. Parce qu’on le sait bien, interdire ne fait pas toujours disparaître, ça peut aussi attiser la curiosité et donner envie de braver la règle.

Et au-delà des débats, il reste une évidence. Ces quelques minutes de danse filmées ont suffi à mettre en lumière un malaise plus profond, celui d’une jeunesse partagée entre traditions, religion et envie de liberté.